Le défi du transport maritime africain
Par Ibrahima DIALLO
4 juillet 2023 / 13:15

Une étude sur le transport maritime faite par la CNUCED rappelait que l’Afrique ne représentait en 2019 que 2,5% des exportations et 3% des importations dans le commerce international de marchandises (en valeur). La même étude rappelait une évidence connue de tous selon laquelle les échanges entre notre Continent et le reste du monde dépendent essentiellement du transport maritime. A côté de ces deux évidences, il y a une autre plus visible qui rappelle que deux tiers au moins des 54 pays africains ont une façade maritime. Question : et si l’émancipation économique africaine était dans sa capacité à transporter ses biens par elle-même pour une large part ?

A vrai dire, l’Afrique n’a pas une véritable flotte de navires marchands. Ne nous fions pas aux immatriculations de complaisance qui placent souvent virtuellement le Liberia parmi les trois premiers pavillons de navires au monde ! En vérité, l’Afrique n’a pas, à proprement parler, une flotte qui lui est propre. Il est vrai qu’il y a eu des expériences malheureuses d’armements nationaux africains.

C’est le cas, entre autres, de la Sivomar en Côte d’Ivoire, la Cosenam au Sénégal, Camship au Cameroun et la Cobenam au Bénin. Une analyse des faillites de ces expériences aurait montré en plus des cas de mauvaise gestion une méconnaissance des règles commerciales et techniques de fonctionnement d’une flotte. Il ne suffit pas d’avoir des navires pour bien naviguer !

Il faut dans le maritime miser sur des solutions logistiques complexes de massification des flux de marchandises pour réduire les coûts unitaires des produits transportés et tendre vers l’efficience. Il faut aussi un bon calcul des coûts adossé à une comptabilité analytique par centre de frais pour détecter les zones à améliorer dans le processus.

En plus du navire, c’est toute la chaine logistique des auxiliaires de transport qui doit être maitrisée et passée au peigne fin. Nous avons souvenance au siècle dernier (1995) quand, jeune cadre d’un grand groupe portuaire nous nous intéressions à la fois aux cadences des opérations de chargement et de déchargement des navires en opération ainsi qu’à l’analyse du compte d’escale par centre de frais.

Au-delà du travail bien fait, il fallait anticiper sur les éléments de coût en évitant comme qui dirait de « tuer la mouche avec un bulldozer ». La vitalité et la viabilité d’un armement reposent sur une logistique terrestre performante, un réseau commercial très agressif et une rigueur extrême dans le suivi comptable et financier. D’ailleurs de plus en plus les financiers sont aux commandes dans les plus grandes compagnies maritimes du monde !

En effet, une mauvaise cotation, une planification loupée ou une absence de suivi des opérations commerciales d’un navire sont autant de facteurs qui se paient cash. Pour dire simplement qu’un navire qui gagne du temps en mer et qui en perd à terre sans s’armer de dispositions contractuelles en amont va tout droit vers les cumuls de pertes.

Un armateur qui met l’accent sur la coque en oubliant les opportunités souples d’affrètement et de recours aux accords de slot est beaucoup plus dans le vernis du prestige possessif que dans la rationalité économique. Même les mastodontes du maritime ont recours à l’affrètement et aux accords de slot. Le maritime n’est pas un champ d’improvisation ou de simple démonstration des égos nationalistes.

C’est un métier complexe à plusieurs facettes ! Les échecs dans le maritime ne sont pas seulement l’apanage de l’Afrique, il y a eu beaucoup de faillites en la matière sous d’autres cieux. Cela ne doit toutefois pas être une excuse pour l’Afrique ! A L’heure de la ZLECAF, il est clair que le maritime constitue l’une des panacées pour booster le commerce intra africain et jeter les bases d’un développement endogène du Continent.

Il faut à notre humble avis bâtir à partir de l’existant des flottes actuelles à l’instar de COSAMA SA au Sénégal. Nous avons eu avec notre casquette « ancienne » de DG du COSEC à user de notre position d’Administrateur à COSAMA SA pour peser dans les prises de décisions stratégiques d’utilisation des deux navires cargo (Djilor et Diogue) de cette compagnie dans le cabotage sous-régional en plus des trois navires passagers (Aline Sitoé, Aguène et Diambogne) gérés pour le compte de l’Etat.

Nous avons même eu à recourir à l’affrètement d’un navire (Teos) pour faire face à une demande importante. La compagnie COSAMA SA est un modèle de partenariat publicprivé à ouvrir d’avantage aux privés nationaux et (pourquoi pas un jour ?) africains pour mailler petit à petit tout le Continent sur la base d’accords de slot avec d’autres armements africains.

En plus, de ces accords de slot, les armements africains doivent tisser des conventions de feedering avec les mastodontes du transport conteneurisé pour prendre en main le cabotage. En plus du cabotage, l’ambition peut aller plus loin dans les conventions avec ces armements de niveau mondial. Les compagnies maritimes africaines peuvent faire valoir dans ces accords l’utilisation de leurs propres connaissements à l’import comme à l’export à bord des navires non africains.

Pour ce faire, le minimum sera d’avoir des agences maritimes et/ou consignataire dans tous les ports du monde. Les Etats africains via des structures comme les conseils de chargeurs peuvent aider dans la rationalisation de ces représentations par la mise en synergie de leurs bureaux à l’étranger.

Nous avons eu entre 2018 et 2021 à transporter au Sénégal avec COSAMA SA les conteneurs des armements comme Maersk, Msc et Happag Lloyd sur l’axe Ziguinchor-Dakar. C’est la preuve qu’un armateur africain peut être en convention avec les majeurs sur des bases claires.

Il faudra toutefois privilégier les accords intra africains pour grandir plus vite et au mieux ! Les bases légales de cette « préférence africaine » sont pourtant clairement définies dans la charte africaine des transports maritimes qui rappelle la nécessité d’une coopération entre les compagnies maritimes africaines d’une part et les services auxiliaires des transports d’autre part. Pour prendre en compte les pays sans littoral, cette même charte incite les pays ayant une façade maritime à leur accorder des facilités.

Pour dire simplement que l’Afrique a les moyens juridiques et institutionnels de bâtir une synergie d’armements propres de taille mondiale. Pour ce faire, il faut régler les équations du financement et de la signature des accords entre armements africains qui en plus du maritime doivent utiliser le vaste potentiel fluvial du continent.

Les experts savent que vital est le transport maritime en Afrique. Ils savaient avant la Covid 19 que la dépendance que nous avons vis-à-vis des armateurs non africains est un risque majeur de survie du continent. Ces mêmes experts savent en peu plus depuis le choc exogène de la Covid 19 que la hausse incontrôlée des taux de fret dans le monde a lourdement plombé les efforts d’émergence africaine.

La maitrise de notre souveraineté maritime est une exigence de survie. Il n’y a pas trente-six mille solutions : la clef du développement de l’Afrique est pour une large part dans la logistique d’abord et, à l’instar du terrestre (routier et ferroviaire) et de l’aérien, le maritime (mer et port) est essentiel dans cette chaine. Les experts le savent. Les véritables décideurs des politiques africaines publiques et privées doivent en être convaincus pour agir.

Mamadou NDIONE : Économiste Logisticien Maire de Diass

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