Le transport aérien en Afrique de l’Ouest et du Centre, de 1960 à 2023
10 juillet 2024 / 14:03

Réussites, difficultés, perspectives de développement durable. L’histoire du transport aérien en Afrique de l’Ouest et du Centre de 1960, date des indépendances de la plupart de nos États, à nos jours révèle quelques succès, beaucoup d’échecs, et des difficultés persistantes.

Comment rendre ces compagnies aériennes plus efficaces dans un proche avenir, tout en s’inscrivant résolument dans les objectifs de protection de l’environnement pronés par l’OACI, l’IATA, et l’AFRAA, et jouer ensemble un rôle significatif dans le Transport Aérien Africain et international ? A titre historique, intéressons-nous d’abord à quelques compagnies aériennes d’Afrique de l’Ouest et du Centre, prises comme exemples : la compagnie multinationale Air Afrique, et les compagnies nationales successives du Sénégal et de la Côte d’Ivoire.

La compagnie aérienne panafricaine Air Afrique a été fondée le 28 mars 1961, date de la signature du Traité de Yaoundé qui régit la compagnie, par une dizaine de Chefs d’Etat convaincus de la pertinence d’un tel projet. En effet, chaque pays, considéré individuellement, était trop faible et ne disposait pas des ressources suffisantes pour gérer une compagnie aérienne, mais le portefeuille de droits de trafic ainsi réunis constituait un avantage inestimable pour la société commune.

Le premier conseil d’administration s’est tenu le 21 juin 1961 et a élu son premier président, M. Cheikh FAL, devenu par la suite Président Directeur Général. De par son réseau africain et intercontinental, l’achat de gros porteurs, le passage à la réservation électronique, et sa présence active au sein des organes de gouvernance du Transport aérien mondial, Air Afrique faisait partie des premières compagnies aériennes desservant l’Afrique.

Les difficultés financières entrainées par la crise économique des Etats membres, certains d’entre eux mauvais-payeurs, la guerre du Golfe et ses répercussions pétrolières, la dévaluation du Franc CFA, la rivalité entre États membres, la gestion laxiste qui en découlait, et la crise d’autorité conséquente avaient fini d’achever la compagnie multinationale, liquidée en 2002, après 41 ans d’exploitation. Au Sénégal, Air Sénégal International, créée en 2000, a été liquidée au bout 6 ans, sur fond de conflit avec son partenaire Royal Air Maroc. Elle a été remplacée par Sénégal Airlines, créée en 2009, et qui a opéré de 2011 à 2015, avant d’être liquidée à son tour.

La troisième tentative, Air Sénégal SA, vole depuis 2018, créée en avril 2016, avec un capital conséquent de 40 milliards de CFA détenu à 100% par l’Etat du Sénégal financé par la CDC La (Caisse des Dépôts et Consignations de l’Etat). En Côte d’Ivoire, l’ancienne compagnie nationale Air Ivoire a connu de graves difficultés économiques à partir de 1999 et a fait faillite. Elle a été renflouée par All Africa Airways (détenue à 51% par Air France à l’époque), pour donner naissance à partir de 2002 à la « Nouvelle Air Ivoire ». Nouvelle Air Ivoire a été liquidée en 2011.

La nouvelle compagnie aérienne, Air Côte d’Ivoire, a vu le jour en 2012, détenue majoritairement par le gouvernement ivoirien (51%), Air France (20%), le fonds Aga Khan (15%) et des investisseurs privés (14%).

Quelles leçons tirer de cette période de 60 ans ?

Une connaissance suffisante de ce qui a été accompli, considéré avec un regard critique objectif, permet d’en tirer des leçons. Au plan du réseau, de nombreux vols non rentables ont été conservés. Une compagnie aérienne devrait être une entreprise rentable afin d’assurer son avenir. Il est admissible qu’une partie du réseau déficitaire soit expliquée et justifiée par des raisons politiques, des besoins nationaux de désenclavement, par exemple, etc. mais ces lignes devraient alors être subventionnées par l’État demandeur.

La flotte, dans de nombreux cas, n’était pas adaptée aux besoins réels. Dans le cas d’Air Afrique, jusqu’à la fin des années 80, la flotte était relativement bien adaptée aux besoins réels, mais avec l’introduction des avions Airbus, par exemple sur la route transatlantique, des difficultés sont apparues au niveau de la charge utile de l’avion. L’Airbus A310 était bien sûr beaucoup moins adapté aux besoins de la ligne Dakar New York, avec la forte demande de bagages et de fret, par rapport à la charge utile de son prédécesseur, le DC-10-30.

Dans d’autres cas, sur le réseau intra-africain, l’utilisation d’avions à réaction sur des vols très courts au lieu d’avions à hélices n’était pas un bon choix pour l’économie mais la rivalité entre les compagnies nationales des Etats a conduit à l’utilisation d’avions non adaptés, souvent pour le prestige. Vestige de la colonisation, la coopération Nord-Sud a été privilégiée au détriment d’un partenariat Sud-Sud qui aurait été beaucoup plus fructueuse.

Au plan des ressources humaines, le principe de base « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » n’a pas toujours été respecté pour la direction des compagnies aériennes, qu’elles soient multinationales ou nationales. Cela a bien sûr conduit à une mauvaise gestion dans la plupart des cas, menant à la faillite. Par ailleurs, le capital de ces compagnies aériennes a souvent été très faible au regard des ambitions affichées. De ce parcours historique, découlent des propositions d’amélioration et recommandations.

Les Autorités de l’aviation civile, en leur qualité de tout-puissants régulateurs du secteur, n’ont pas coopéré autant que le souhaitaient les compagnies aériennes. Bien qu’ayant signé la plupart des traités, elles n’ont pas toujours respecté leur signature pour diverses raisons, et très souvent en pensant protéger leur propre compagnie nationale contre la concurrence.

Le transport aérien ne peut être développé par le protectionnisme. La libre ouverture des routes et l’encouragement de la concurrence sont le moyen d’améliorer la connectivité et de faire baisser progressivement les tarifs aériens, et donc de développer le trafic. Les autorités de l’aviation civile devraient développer cet esprit de coopération par des réunions régionales régulières, et respecter leurs engagements.

Le début de la libéralisation du ciel africain a été marqué par la déclaration de Yamoussoukro de 1988. Son évolution en Décision de Yamoussukro, puis la mise en place du MUTAA, Marché Unique du Transport Aérien Africain, illustrent les difficultés d’application, même si l’espoir est aujourd’hui permis avec la ratification du MUTAA par 37 pays sur les 55 du Continent.

Pays signataires du MUTAA en 2019

Le rapatriement des fonds des compagnies aériennes pose problème important dans de nombreux pays, principalement dans les pays qui ont leur propre monnaie. La situation au Nigeria illustre ce problème. Cela pèse sur les finances des compagnies aériennes et, par conséquent, sur leur capacité à développer leur réseau et à contribuer à une meilleure connectivité aérienne.

L’industrie s’attend à ce que le carburant aérien durable (SAF) joue le rôle le plus important dans la décarbonisation de l’aviation. L’IATA estime qu’environ 65 % des mesures d’atténuation nécessaires pour parvenir à des émissions nettes de carbone nulles en 2050 proviendront du SAF.

L’Afrique peut jouer un rôle majeur dans les biocarburants si une grande partie de ses terres arables est consacrée aux cultures nécessaires à la production de biocarburants, ce qui implique évidemment une coordination continentale pour identifier les terres qui pourraient être consacrées à ce type d’agriculture, étant entendu que les besoins alimentaires, qui sont également cruciaux, appellent un arbitrage objectif. Les compagnies aériennes africaines sont conscientes de la nécessité d’atteindre les objectifs de durabilité de l’aviation pour 2050, le Flight Net Zero 2050.

Enfin, une coopération efficace entre les compagnies aériennes de l’Afrique de l’Ouest et du Centre est la solution à tous les problèmes qui se sont posés depuis l’indépendance. Examinons quelques secteurs clés de la coopération gagnant-gagnant, qui permettraient à l’aviation de progresser rapidement et harmonieusement dans cette partie du continent africain.

Les plans de flotte sont généralement peu rationnels et guidés précisément par le type de coopération Nord/Sud. Pour des Etats peu riches, avec des marchés étroits, il peut être très utile de coordonner les plans de flotte, pour réaliser des économies d’échelle et une plus grande efficacité dans l’utilisation des aéronefs.

Les décisions d’achat d’avions émanent parfois des plus hautes sphères de l’État, sans véritable analyse des types d’avions les plus adaptés. Les avantages d’une bonne connectivité ne sont plus à démontrer. Pour y parvenir il est absolument nécessaire que les compagnies aériennes africaines, au plan régional, se concertent avant les 2 grandes réunions de coordination horaire organisées annuellement par l’IATA au niveau mondial.

Il est bien connu que le carburant représente une part très importante du compte d’exploitation d’une compagnie aérienne, entre 20 et 45%, et dans la région africaine son coût moyen est plus élevé que dans beaucoup d’autres parties du monde. Les compagnies aériennes de la région ont donc tout intérêt à se réunir autour d’une table pour négocier en bloc avec les principales sociétés de distribution de carburant. En termes d’économies d’échelle, il est judicieux de présenter un volume global important plutôt que des besoins individuels modestes. La même logique s’applique aux assurances qui représentent une charge importante dans les coûts d’exploitation des compagnies aériennes.

Négocier ensemble permettrait, sans aucun doute, de réaliser des économies d’échelle, toujours bienvenues pour une compagnie aérienne. Là encore, la tenue de réunions liées à l’élaboration des budgets annuels des compagnies aériennes d’une même région, devrait permettre de réaliser des économies appréciables.

Au plan de la maintenance des avions, disposer le plus rapidement possible des pièces de rechange est l’une des conditions préalables à une bonne régularité des vols. Le fait de compter uniquement sur ses propres pièces de rechange va évidemment à l’encontre d’une bonne ponctualité.

Chez plusieurs compagnies aériennes africaines, la ponctualité est tout simplement désastreuse, et l’analyse des causes de cette mauvaise performance, révèle très souvent l’indisponibilité des pièces de rechange dans les temps voulus. Ces pièces détachées sont très souvent commandées en Europe ou aux Etats-Unis, alors que l’avion reste au sol en attendant leur arrivée. Il est donc évident que la création d’un pool régional de pièces détachées pourrait apporter des solutions à ces pannes dans des délais extrêmement courts, ce qui est d’un intérêt commun.

La formation est essentielle dans le secteur du Transport aérien, qu’il s’agisse du personnel navigant ou du personnel au sol. En effet, la technologie progresse à une vitesse fulgurante et le besoin de formation, qui existait déjà, devient encore plus crucial. Pour atteindre un bon niveau de qualité des services et de sécurité des opérations, et une stratégie efficace de développement, les compagnies devront se rencontrer pour coordonner leurs plans de formation du personnel.

Les projections révèlent un besoin important en personnel de transport aérien, tant au sol qu’en vol. Cependant, un élément qui n’est pas souvent discuté entre les compagnies aériennes est le niveau des salaires. La réticence de nombreux pilotes et ingénieurs de maintenance avions à rejoindre certaines compagnies nationales s’explique, entre autres, par le niveau des salaires, qui sont très souvent bien inférieurs à ceux pratiqués dans d’autres compagnies occidentales et au Moyen-Orient. Le développement du transport aérien en Afrique de l’Ouest et du Centre nécessite une nouvelle révision des salaires, afin d’assurer la stabilité des ressources humaines.

En conclusion, ce parcours historique depuis 1960 et l’analyse des différentes compagnies choisies en exemple, nous ont permis de constater une évolution peu reluisante des compagnies de la zone de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Quelques avancées récentes dans la coopération entre compagnies de cette région sont encourageantes, même si le chemin à parcourir est encore long. L’essentiel est de mettre le pied à l’étrier pour effectivement gravir les échelons d’une coopération régionale dont les résultats seront constatés à court terme.

Cela suppose que les recommandations, non exhaustives, formulées ici seront abordées et mises en œuvre de façon professionnelle, et bénéfiques pour le client et l’entreprise, loin des considérations de frontières et de prestige.

Mansour DIOP, Expert en Transport Aérien

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