Transport aérien au Sénégal : le nécessaire recentrage
Par Ibrahima DIALLO
16 avril 2024 / 11:25

Par Blaise MANE, Directeur de sociétés

Le Sénégal a connu le 24 mars 2024, sa troisième alternance politique qui ancre notre pays dans le groupe des nations où de façon régulière, le pouvoir politique change de mains sans fracas ni chaos.

Tout naturellement, les nouveaux tenants du pouvoir ont pris les centres de décision et commencent à apparaître, au fil des prises de paroles et des passations de service, les nouvelles orientations politiques dans les différents secteurs.

Acteur du fret aérien depuis quelques années et du secteur aérien depuis le mitan des années 90, c’est avec attention que j’ai lu le compte rendu de la passation de service au ministère du transport aérien (désormais regroupé avec les transports terrestres et les infrastructures), entre messieurs Antoine MBENGUE, ministre sortant et El Malick NDIAYE, nouveau ministre.

Les faits sont relatés par le journal VOX POPULI, dans son numéro 2176 du samedi 13 et dimanche 14 Avril 2024 Remarquons au passage et quelques observateurs avertis avec nous, que le regroupement des ministères du transport terrestre, des infrastructures et du transport aérien, nous a ramené le fameux « ministère du ciel et de la terre », désormais passé à la postérité et qui valut une descente aux enfers à son titulaire.

Nous ne souhaitons évidemment pas le même sort à l’actuel titulaire du poste. Nous lui souhaitons la bienvenue et plein succès pour qu’enfin le transport aérien décolle vraiment au Sénégal.

Nous pensons que les trois échecs des compagnies aériennes nationales antérieurs en plus de celui d’AIR AFRIQUE, sont à peine masqués par la nouveauté de l’aéroport de Diass, et les déclamations comme un mantra, du concept de « hub » à tout va. Il ne suffit pas de le dire, il faut le faire.

Il nous plait, avec nos vœux de succès, de lui rappeler l’importance stratégique de son ministère et la nécessité de gérer chacune de ses composantes avec la même vigilance pour ne pas créer des frustrations ou ne pas enregistrer des revers préjudiciables à une bonne fin de sa feuille de mission.

Le ministre El Malick NDIAYE semble bien conscient des enjeux puisqu’il déclare qu’il ambitionne dans le cadre des orientations du chef de l’Etat, de faire de ce secteur un moteur essentiel de la croissance économique et de la création d’emplois.

Ceci, « en assurant la connectivité du Sénégal avec notre sous-région et le reste du monde, ainsi qu’en contribuant à sa compétitivité et à son attractivité dans un environnement mondial de plus en plus ouvert et concurrentiel. Pour cela, nous nous attèlerons à transformer les aéroports de Diass, de Saint Louis et de Ziguinchor en de véritables pôles de développement économique, favorisant les opportunités d’affaires pour les entreprises industrielles et de services ; à renforcer le développement du transport domestique, notamment les vols intérieurs à coûts bas. Le développement du fret aérien sera également une priorité, afin de promouvoir le savoir-faire sénégalais et les ressources nationales sur la scène internationale » Le ministre, en tenant un tel discours, démontre qu’il a une idée claire de ce qu’il faut faire.

Nous avions jusque-là un ensemble de programmes qui ne semblaient pas comprendre la nature fragile de notre économie et la nécessité d’être économes et précis dans nos investissements.

En effet, dans ce contexte de rationalisation et d’efficience de la dépense publique, comment comprendre que le PRAS (Projet de Reconstruction des Aéroports du Sénégal) d’un coût de quatre-vingt-dix-huit-milliards-neuf- cent-soixante-dix-neuf-mille-trois-cent-soixante-onze-mille-six-cent-quatre-vint-et-un (98.979.371.681) CFA (presque 99 milliards) financé à 85% par Czech Export Bank et 15% par le Budget Consolidé d’Investissement du Sénégal (BCI), ambitionna de construire cinq aéroports par les tchèques (Saint Louis, Ourossogui/ Matam, Ziguinchor, Tambacounda, Kédougou) et huit par AIBD SA (Bakel, Kolda, Cap Skirring, Sédhiou, Simanti, Kaolack, Linguère, et Podor) ?

Quelle était la pertinence d’avoir autant d’aéroports/aérodromes (13 au total) ? Quels sont les flux de passagers et de marchandises qui justifient ces investissements ? Quelles sont les compagnies aériennes qui vont se poser dans ces aéroports ?

La nécessité de valoriser les ressources nationales et le savoir-faire des entreprises sénégalaises du secteur apparaît dans le souci de développer le transport domestique où la compagnie TRANSAIR, pionnière et combative, a ouvert des routes à consolider. Le ministre a aussi clairement posé la nécessité de développer le fret aérien.

La croissance actuelle des volumes traités à Diass est tirée par les importations tandis que les exportations baissent d’années en années. Les investissements nécessaires pour développer le fret aérien à l’exportation n’ont pas été faits. Une nation qui importe plus qu’elle n’exporte s’appauvrit.

Rappelons quelques-unes des questions qui nous ont toujours préoccupées dans la gestion du secteur depuis 2017 :

  • Pourquoi au 06 décembre 2017 la gestion aéroportuaire et le Handling étaient 100% sénégalais et dès le 07 décembre rien n’est plus sénégalais à 100 % ?
  • Pourquoi l’aéroport le plus rentable est géré par des étrangers et s’endetter pour reconstruire les autres ?
  • Pourquoi AHS (Aviation Handling Services, société attribuée à l’ancien ministre du Transport Aérien) a été dissoute alors que le Sénégal, après sa nationalisation pouvait la maintenir en activité ? Ne pouvait-elle pas être le Handler à Diass ou être reversée dans le patrimoine d’AIR SENEGAL ?
  • Pourquoi les transitaires et logisticiens n’ont pas des bureaux et des hangars à Diass ? Seul TEYLIOM ayant été autorisé à y construire un immense hangar au lieu du “CARGO VILLAGE” initialement prévu ?
  • Comment sont attribués les marchés de SECURIPORT et TERANGA SURETE AEROPORTUAIRE ? Où est-ce que TSA a exercé avant AIBD et ou exerce t’elle d’autre à part à AIBD ?
  • A combien se chiffrent les pertes d’Air Sénégal à ce jour ? Y a-t-il un risque systémique pour les autres acteurs du secteur ? Handling, catering, gestionnaire d’aéroport ?
  • Pourquoi la coexistence entre AIBD S.A. et LAS à Diass ? AIBD S.A. est gestionnaire de tous les aéroports du Sénégal sauf le plus emblématique (90 pour cent du trafic national selon ECOFIN dans un article paru le 20 Mars 2024) qu’il donne en concession et encaisse uniquement des frais de concession ?

Autant de questions qui ne peuvent être escamotées si nous vous voulons rebâtir sur des bases de reconstruction saines. Un audit exhaustif du secteur (revue organisationnelle, revue des politiques et des programmes, audit financier et commercial) s’impose avant un recentrage vers l’essentiel.

Il ne sert à rien de mener une politique de prestige ou d’exubérance. Une ambition dont on n’a pas les moyens mène à la perte. Les fondamentaux de la planification stratégique doivent revenir, à travers d’abord la désignation de managers aguerris, ayant fait leurs preuves, qui planifieront, organiseront, dirigeront et contrôleront le secteur. En peu de mots, feront du management.

Blaise MANE, Directeur de sociétés

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