La logistique de l’armée française fait le choix du multimodal
Par Ibrahima DIALLO
13 septembre 2023 / 08:28

Pour soutenir les forces armées déployées à l’étranger, la chaine logistique des armées adapte ses choix en fonction de l’urgence de l’intervention, du milieu, de la nature de l’opération.

Dans le domaine de la logistique militaire, le soutien de l’homme (ou vie en campagne), le ravitaillement des troupes, la maintenance des équipements, véhicules, aéronefs, navires, mais aussi les soins voire les évacuations sanitaires sont des composantes essentielles. Dans tous les cas, les solutions multimodales sont étudiées pour garantir un soutien optimal, en tout temps et en tous lieux, réduire la dette logistique d’une force, son empreinte carbone et les coûts.

Les forces armées françaises étendent leur implantation sur tous les continents. Qu’il s’agisse de l’Europe, des collectivités d’outre-mer ou d’autres continents comme dans le Pacifique ou en Afrique, les armées jouent la carte du multimodal pour approvisionner les bases à l’étranger.

Le transport de 3800 conteneurs depuis le Mali

Au Mali, suite au coup d’État de 2021, l’opération française Barkhane a quitté le pays en 2022, en menant une véritable opération logistique au sein de l’opération en elle-même, dans un contexte sécuritaire dégradé et une géographie et des infrastructures très contraintes. Le départ des troupes françaises a nécessité le transport de 3800 conteneurs, et a duré plusieurs mois.

L’objectif était bien de garantir en permanence la sécurité des troupes, la fluidité logistique des flux de transport, le démontage en bon ordre et en sécurité des bases, de leurs équipements opérationnels sensibles et de soutien de l’homme. « Cette opération a été menée en coopération avec les forces armées locales », souligne le colonel Cyrille.

Une évacuation par la route

L’évacuation de ce matériel s’est faite à hauteur de 82% par la route vers le port de Cotonou. Le solde de 18% se réalise par avion. « Nous avons privilégié l’aérien pour le matériel sensible ou pour nos matériels dont le réemploi était urgent sur d’autres théâtres. Nous avons profité des accords avec le Niger, à l’époque, pour évacuer par leur aéroport ce matériel », confie le colonel chargé de la logistique des opérations des armées.

Plusieurs portes d’entrée en Afrique

Au-delà de cette opération particulière, le service logistique de l’armée française joue aussi le rôle de l’anticipation et de la planification. « Nous devons avoir une vision globale des approvisionnements de nos bases, qu’elles soient en Afrique ou dans toute autre région du monde ».

En Afrique, le service logistique des armées dispose de plusieurs portes d’entrée. L’une se situe en Côte d’Ivoire, d’autres à Dakar et Douala, mais également au Bénin. Ainsi, l’armée française a négocié un accord technique avec le port de Cotonou pour approvisionner les troupes.

« Il s’agit d’un accord avec le gouvernement pour que nous puissions utiliser le port pour acheminer nos équipements par la route ou la voie ferrée vers le Nord. Cet accord prévoit aussi la possibilité de ramener vers le port de Cotonou l’ensemble des matériels retirés du Mali, du Niger voire du Tchad par la voie maritime », explique le colonel.

La desserte des pays enclavés

L’armée dispose de moyens logistiques dans les ports, les aéroports et certaines zones de stockage. Le port de Cotonou permet de desservir les pays enclavés de la sous-région depuis que la route par le Burkina n’est plus usitée. Ces voies d’accès suffisent pour le moment aux besoins des flux de l’armée française et sont réévaluées ne permanence. « À ce jour, nos flux ne nécessitent pas de devoir diversifier nos besoins vers le Nigéria. »

Un navire affrété à la Maritime Nantaise

Sur la côte d’Afrique de l’Ouest, l’armée affrète un navire qui assure une liaison avec Dakar, Abidjan, Cotonou, Douala et Libreville pour acheminer le matériel. Au global, chaque année, ce sont cinq à six rotations qui desservent ces ports. Le transport de ce matériel est assuré par la Maritime Nantaise (MN). Un second navire assure la desserte de la Méditerranée orientale (opération Daman au Liban), le canal de Suez et le Golfe Persique (forces française à Djibouti et aux Émirats arabes unis).

En contractant avec la MN, le service logistique des armées s’offre les services de deux navires, les Tangara et Calao. Leur particularité est de pouvoir charger du roulier et des conteneurs. Les deux navires sont gréés, ils peuvent décharger les marchandises sans avoir besoin d’engins de manutention du port.

L’aérien pour l’urgence

Pour les flux d’urgence, lors d’interventions rapides, les armées françaises optent pour le mode aérien. Pour  ce  faire, elles disposent de plusieurs types d’avion : l’A330-200 d’Airbus qui peut transporter jusqu’à 250 personnes et prendre du fret. L’A400 M fait aussi partie de la flotte de l’armée. Ce géant des airs peut acheminer 80 personnes avec 20 t de fret dans un rayon de 6000 km.

En outre, l’armée française dispose de MRTT (Multi Rôle Transport Tanker) qui peut alimenter en carburant les avions en vol. L’ensemble de ces moyens et leurs capacités propres ont été mis en œuvre, à titre d’exemple, lors de l’opération d’évacuation de ressortissants Sagittaire, au Soudan.

Le recours à la NSPA

Outre ses moyens propres aériens, l’armée française fait appel à des sociétés européennes. Ainsi, pour acheminer du matériel vers la Roumanie lors du déclenchement du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’armée française a fait appel aux Antonov 124 de Antonov Logistics Services, société logistique basée à Leipzig, en Allemagne.

L’appel aux moyens de cette société se réalise dans le cadre des accords de l’armée française avec l’Otan, via son agence d’acquisition, la NSPA (NATO supply and Procurement Agency). « Le recours à cette société nous a permis de déployer de nouvelles forces en Roumanie dès le début du conflit dans un délai record de 4 jours, dès le 28 février 2022. En effet, le déploiement complet a été réalisé en sept jours avec 13 rotations », continue le colonel Cyrille.

Le recours au ferroviaire

Dans le contexte ukrainien d’un conflit qui dure sur le long terme, l’armée française a aussi utilisé le transport ferroviaire vers l’Estonie ou vers la Roumanie où elle déploie plus de 1000 hommes Des expéditions qui se réalisent sur une fréquence mensuelle.

« Le choix du ferroviaire est adapté pour des envois réguliers sans un besoin d’urgence. Cette logistique permet d’éviter les à-coups vers des lieux d’opération. » Un choix logistique guidé aussi par la disponibilité de moyens de transport. L’armée française dispose de 500 wagons pour acheminer en Europe du matériel.

Des déclarations douanières envoyées par anticipation

Cependant, l’envoi de matériel dans des lieux étrangers suppose que l’armée franchisse les frontières sans encombre. Lors d’envois de troupes avec des armes, les gouvernements concernés par le passage du convoi demandent une déclaration du ministère entre trois et six semaines à l’avance, selon les pays. Quand le matériel est expédié en conteneurs, l’armée procède comme une société privée avec une déclaration.

« Dans tous les cas, le passage en frontière de nos biens se fait dans les mêmes conditions que pour une expédition traditionnelle. Nous devons présenter un formulaire, le FR 302, qui équivaut au DAU, lors du franchissement des frontières. » En déclarant les marchandises transportées, le ministère peut aussi demander une escorte dans les pays hôtes par les forces locales.

Le ministère s’appuie sur le réseau d’AGL

Ces expéditions sont parfois particulières par la nature des marchandises transportées. Alors, le ministère des armées respecte le code des marchés publics européens pour le choix de ses prestataires. Quant aux opérateurs portuaires, le cahier des charges précise, par des clauses, une confidentialité.

Le contexte économique est aussi surveillé. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, le ministère s’est appuyé sur le réseau d’AGL (précédemment Bolloré Africa Logistics). « Nous devons obéir aux règles des marchés européens. Alors, nos exigences sont plutôt de regarder si les sociétés ont les reins solides, un réseau développé dans la région et des compétences en matière de douanes. »

L’Adriatique sous la loupe

Quant aux opérations en Europe orientale, les armées regardent avec attention les développements de la situation en mer Noire. Les flux réguliers par voie maritime amènent le service logistique à s’intéresser aux ports d’Europe orientale. Ainsi, il regarde la situation au port de Thessalonique, en Grèce, ou aux ports de l’Adriatique comme Rijeka ou Durres.

Dans le port croate, l’opérateur du terminal à conteneurs pourrait proposer plusieurs voies ferroviaires vers les pays d’Europe de l’Est. Un avantage dans le cadre de la stratégie multimodale du service logistique des armées.

Hervé Deiss

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