Alliances maritimes : l’union européenne ne renouvellera pas l’exemption aux règles de la concurrence dont bénéficient les compagnies
Par Ibrahima DIALLO
11 octobre 2023 / 09:33

Alors qu’il lui restait deux ans à vivre jusqu’au prochain renouvellement, le régime d’exemption par catégorie dont bénéficient les armateurs de ligne régulière pour former des consortiums ne sera pas renouvelé au-delà du 25 avril 2024. Une dérogation vivement critiquée par l’ensemble des acteurs de la supply chain. Un big bang dans la ligne régulière.

Une exemption en forme d’exception. Depuis 2009, en Europe, les compagnies maritimes bénéficient d’une dérogation par catégorie, dite « block exemption » (Consortia Block Exemption Regulation, CBER) permettant aux transporteurs maritimes de se soustraire aux règles de concurrence classiques qui prévalent au sein de l’Union européenne.

Concrètement, les compagnies maritimes, réunies en alliances ou consortiums dont la part de marché est inférieure à 30 %, peuvent coopérer sur le plan opérationnel (partage de capacités, coordination des itinéraires et des horaires…), en excluant l’entente tarifaire et la manipulation des capacités mises sur le marché.

Cette prérogative est octroyée en vertu du postulat selon lequel elle profiterait aux usagers du transport en se traduisant par une baisse des prix et une meilleure qualité de service. Cette préséance est régulièrement dénoncée par des associations européennes de chargeurs, de transitaires et autres prestataires de la supply chain.

Elle a en outre déclenché plusieurs rapports, les plus sévères émanant de l’International Transport Forum (ITF) de l’OCDE qui n’a eu de cesse, depuis 2002, de mettre en exergue ses déviances. La plus récente, sur les performances du transport maritime, suggérait que les autorités avaient facilité la hausse des taux de fret pendant la pandémie en créant un cadre juridique favorable aux alliances et aux consortiums.

Économies limitées

Alors que cette disposition a été renouvelée à plusieurs reprises, l’UE, sous la pression de plusieurs associations, a fini par lancer un audit en 2022 en vue d’une prorogation ou non en 2024. Elle devait, dans ce temps d’évaluation, entendre toutes les parties prenantes, y compris, les transporteurs certes mais aussi les chargeurs et les transitaires, les ports et les exploitants de terminaux…

La Commission européenne vient d’annoncer qu’elle ne prorogera donc pas le cadre juridique au-delà du 25 avril 2024, date de l’expiration de l’actuel accord.

« Aujourd’hui, la Commission a publié son document de travail des services de la Commission qui résume les résultats de son évaluation. Dans l’ensemble, les éléments recueillis auprès des parties prenantes indiquent que l’efficacité et l’efficience du CBER ont été faibles ou limitées tout au long de la période 2020-2023 », indique la Commission européenne, estimant que le dispositif n’apporte aux transporteurs que des « économies limitées sur les coûts de mise en conformité et joue un rôle secondaire dans la décision des transporteurs de coopérer ».

Ses évaluations ont permis en outre de relever que cette organisation ne permettait plus aux plus petites entreprises de coopérer entre elles et d’offrir des services alternatifs en concurrence avec les grandes entreprises.

La vice-présidente de la Commission européenne en charge de la concurrence, Margrethe Vestager avait rouvert le dossier à l’été 2022.

La pandémie fatale

Avec ou sans lien avec le lancement de la procédure, les grandes organisations professionnelles des places portuaires européennes* avaient adressé, peu de temps avant, un courrier à la commissaire européenne dans lequel elles pointaient un certain nombre de dysfonctionnements.

« Les opérateurs européens ont subi d’énormes perturbations dans le transport de marchandises par conteneurs depuis le dernier renouvellement du règlement sur les alliances maritimes en avril 2020. La capacité des transporteurs maritimes de conteneurs à gérer collectivement les impacts, tout en générant des bénéfices totalisant plus de 186 Md$ en 2021, au détriment du reste de la chaîne d’approvisionnement, démontrent que quelque chose ne va pas », écrivaient-ils.

Libre-entreprise avant tout

En dépit de toutes ces agitations, l’UE a toujours opposé une fin de non-recevoir à toute plainte en y opposant le principe de la libre entreprise et en justifiant les prix élevés du transport maritime par le « jeu » de l’offre et de la demande.

L’expiration du CBER, qui fait basculer les compagnies maritimes dans le régime commun des règles antitrust qui s’appliquent à tous les secteurs économiques, ne signifie pas pour autant que la coopération entre les compagnies maritimes devient illégale en matière d’ententes et d’abus de position dominante.

« Au contraire, rétorque la Commission dans son jargon administratif. Les transporteurs opérant à destination ou en provenance de l’UE évalueront la compatibilité de leurs accords de coopération avec les règles antitrust de l’UE sur la base des orientations détaillées fournies dans le règlement horizontal d’exemption par catégorie et le règlement de spécialisation d’exemption par catégorie ».

En clair, la Commission n’a pas changé d’avis sur le postulat de départ, à savoir que les consortiums « peuvent être un moyen efficace de fournir et d’améliorer les services de transport maritime de ligne, qui profite également aux clients ».

Toutefois, compte tenu de l’évolution du marché, elle estime que le cadre juridique n’est plus adapté, ce que l’ITF-OCDE soutient depuis longtemps.

« Ce qui est positif, c’est que la Commission européenne reconnaît que le CBER n’est plus adapté, ce que nous disons depuis longtemps. Ce qui est paradoxal, c’est que le CBER a permis au transport maritime de ligne de devenir un oligopole très concentré et maintenant qu’il est très concentré, la Commission européenne se débarrasse de l’influence qu’elle aurait pu avoir – avec une révision potentielle du CBER –, pour améliorer les conditions de concurrence dans le transport maritime de ligne », réagit Olaf Merk.

Dans le viseur des autorités antitrust

L’organisation en alliances maritimes est dans le viseur des autorités antitrust de plusieurs pays, notamment de la très active FMC (Federal maritime Commission aux États-unis, de la redoutable Korean fair trade Commission  en Corée du Sud et du ferme mais policé ministère des Transports en Chine. Les armateurs de porte-conteneurs ont été audités à plusieurs reprises à ce sujet.

Les autorités antitrust des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande ont par ailleurs annoncé, en février 2022, une coopération pour être plus « efficaces » contre les pratiques anticoncurrentielles dans le transport maritime de conteneurs.

Jusqu’à présent, toutes les enquêtes menées sur d’éventuelles collusions commerciales dans la ligne régulière n’ont rien démontré. Une enquête de deux ans, menée par le ministère américain de la Justice, s’est clôturée en février 2019 sans accusations ni sanctions.

Adeline Descamps

0 commentaires

Newsletter

Vidéos

Il n'y a pas d'événements à venir pour le moment.
fr_FRFR