Article rédigé par Blaise Mané paru dans le numéro 11 de Africa Supply Chain
Dans cet article, nous considérerons la gestion aéroportuaire comme la gestion du terminal lui-même, le traitement des vols (handling) et la restauration (catering) pour faire simple.
Au Sénégal, les aéroports étaient gérés (jusqu’à une fusion en juin 2021) par les ADS (Aéroports Du Sénégal) pour tous les aéroports et LAS (Limak Aibd Summa) pour Diass tandis que le « handling » est assuré par 2AS (Aibd Assistance Services) à Diass et SHS à Yoff et au Cap Skiring. Servair étant le seul service de « catering ». LAS, gestionnaire de l’aéroport de Diass est concessionnaire de AIBD sa en vertu d’une convention signée le 21 Avril 2016 portant sur la gestion, l’exploitation et la maintenance de la plateforme.
Il est curieux en passant de noter que l’entité née de la fusion des ADS et de AIBD s.a., en charge de TOUS les aéroports du Sénégal, soit dénommée AIBD s.a. Le nom n’est en rien évocateur de la mission ni des attributions. Nous aurions conservé la dénomination ADS (Aéroports du Sénégal) tout en ne touchant pas au nom de l’aéroport de Diass que nous aurions fait preuve de cohérence et de pragmatisme.
« Mal nommer les choses, ajoute aux malheurs du monde », aurait dit Albert Camus. Le schéma en vigueur est donc celui de monopoles sur ces secteurs, avec des prix qui son déterminé dans des conditions discrétionnaires par les entités qui profite de leur position sur le marché. Les entreprises ayant en gestion ces secteurs importants du transport aérien, à partir du moment où elles sont en monopoles, ne risquent-elles pas d’abuser de leur position dominante ?
Il serait de bonne pratique, partout où une entreprise serait susceptible d’être dans une position dominante sur un marché, d’avoir une entité composée des acteurs du secteur pour surveiller ses tarifs. Les secteurs de l’électricité et de l’eau sont dans une configuration similaire. Leurs tarifs ne sont pas laissés à leur libre appréciation. En d’autres termes, quelles garanties il y a-t-il pour les usagers d’obtenir des services de qualité, à des prix raisonnables et ne mettant pas en danger leur santé financière ?
Et enfin quelles dispositions l’Etat a-t-il pris pour assurer des conditions de marchés normales, et économiquement viables pour les acteurs ? Le règlement UEMOA N°01/2003/CM/UEMOA du 20 mars 2003 sur l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de l’union dans ses considérants précise que l’assistance en escale est une activité commerciale dont la libéralisation doit contribuer à la réduction des coûts des compagnies aériennes, à la baisse des tarifs et à l’amélioration de la qualité de service.
Force est de constater que lors du passage de Yoff à Diass, ces objectifs n’ont pas été atteints, bien au contraire. Il importe au préalable de signaler que la politique de l’AOCI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale) en matière de redevances consiste à établir que l’argent de l’aviation civile doit lui retourner pour son développement (en infrastructures notamment).
Ceci est rappelé dans le document 9083 de l’OACI. Les Etats sont à cet effet encouragés à s’abstenir de créer de nouvelles taxes. Le principe des redevances (une fois que l’infrastructure est construite) étant privilégié pour éviter de rendre le développement du transport aérien inatteignable pour les pays les plus pauvres.
Au Sénégal non seulement la Redevance pour le Développement des Infrastructures Aéroportuaires (RDIA) a été mise en place en vue de construire l’aéroport de Diass (et non après pour rembourser son coût de construction) mais elle a été maintenue après l’inauguration de l’aéroport comme taxe permanente intégrée au billet d’avion. Aucune autorité de régulation n’a eu à connaître du cas pour juger de sa légalité. Sur la pertinence et la légalité d’une telle mesure, les avis sont partagés.
Le risque d’abus de position dominante du gestionnaire, du « handler » et du « catering ». Les prix pratiqués par ces deux entités même s’ils sont encadrés restent élevés. L’astuce pour eux a été de laisser certaines rubriques hors du champ des décrets avec la mention laconique « tarif libre du prestataire ».
Une curiosité pour un décret dont la finalité était justement de ne pas laisser un vide. Ceci en contradiction avec l’article 152 du Code de l’aviation civile qui dispose : « des décrets pris sur le rapport du ministre chargé des Finances fixent les taux des redevances prévues aux articles 150 et 151 précédents, l’autorité ou l’organisme chargé de leur liquidation et de leur recouvrement et les modalités de leur perception. ».
Ainsi, au titre des loyers pour usage commercial, on a pu noter des tarifs au m2 en moyenne de l’ordre de 22.950 CFA le mois soit beaucoup plus que le m2 à usage de bureau le plus cher en plein centre-ville à Dakar. À titre d’indication, le m2 à Yoff pour usage de bureau dans le terminal était de l’ordre de 37.400 CFA le m2 l’année.
La conséquence pratique en plus du « matraquage financier » des locataires, est la mise en jachère de certains bureaux aussi bien dans le terminal qu’au fret, faute de preneurs. Certaines compagnies aériennes de renom ont même renoncé à prendre des bureaux, le personnel venant uniquement pour traiter les vols et repartir. Des locaux prévus pour des agences ou des loueurs de voitures sont vides. Il convient en la matière d’avoir un raisonnement économique qui entraîne une création d’activité et non un raisonnement purement financier qui consisterait à « presser le citron » afin d’en extraire le maximum de « cash ».
Il nous a été également donné de constater que la simple livraison de toute prestation de catering était facturée comme s’il était possible de commander dans un aéroport du catering sans se faire livrer « à l’avion ». Etant donné la situation de monopole sur le catering, facturer la livraison nous semble excessif. Ainsi, en commandant simplement quelques bouteilles d’eau, on peut se retrouver à payer plus de CFA 20 000 pour la livraison par véhicule léger dans l’enceinte même de l’aéroport.
Les risques sur la qualité de service
Ces situations de monopoles en plus de créer une hausse des prix, ne favorisent pas le développement de services de qualités. Les complaintes des différentes compagnies aériennes sur la qualité du handling à AIBD sont là pour le prouver. Les passagers qui attendent leurs bagages pendant plusieurs heures parfois sont également affectés. La création de monopoles a nui à la qualité de service à l’aéroport de DIASS. La modernité de l’infrastructure permet de cacher ces réalités. L’aéroport de Dakar est classé en milieu de peloton par l’AFRAA pour les taux de redevances appliqués.
Les dispositions à prendre pour une régulation économique du secteur
En France, il existe l’Autorité de régulation des transports est une autorité publique indépendante chargée de la régulation économique des activités de transport ferroviaire, autoroutier et aéroportuaire créée le 8 décembre 2009. À compter du 1er octobre 2019, le champ de compétences de l’Autorité a été étendu à la régulation des redevances aéroportuaires, compétences exercées jusqu’alors par l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires (ASI). Parmi ses prérogatives :
- L’Autorité de régulation des transports homologue les tarifs des redevances pour se du code des transports et leurs modulations.
A cet effet, elle s’assure : du respect de la procédure de consultation des usagers fixée par voie réglementaire ; que les tarifs et leurs modulations respectent les règles générales applicables aux redevances, qu’ils sont non discriminatoires et que leur évolution, par rapport aux tarifs en vigueur, est modérée ; lorsqu’un contrat a été conclu en application de l’article L. 6325-2 (contrat de régulation économique), du respect des conditions de l’évolution des tarifs prévues par le contrat ; en l’absence de contrat pris en application de l’article L. 6325-2, que l’exploitant d’aérodrome reçoit une juste rémunération des capitaux investis sur le périmètre d’activités mentionné à l’article L. 6325-1, appréciée au regard du coût moyen pondéré du capital calculé sur ce périmètre, et que le produit global des redevances n’excède pas le coût des services rendus
- L’Autorité de régulation des transports rend un avis conforme au ministre chargé de l’aviation civile sur les projets de contrats mentionnés à l’article L. 6325-2 (contrats de régulation économique). Dans son avis, l’Autorité de régulation des transports se prononce :
- Sur le respect de la procédure d’élaboration de ces contrats, fixée par voie réglementaire ;
- Sur le coût moyen pondéré du capital retenu par les parties au contrat ;
- Sur les conditions de l’évolution des tarifs prévues par le projet de contrat, en vérifiant, de manière prévisionnelle sur la période couverte par le contrat, que l’exploitant reçoit une juste rémunération des capitaux investis sur le périmètre d’activités mentionné à l’article L. 6325-1, appréciée au regard du coût moyen pondéré du capital calculé sur ce périmètre, et que le produit global des redevances n’excède pas le coût des services rendus.
L’Autorité vérifie la juste rémunération des capitaux investis au regard du programme d’investissements, des objectifs de qualité de service, des objectifs d’évolution des charges et des règles comptables d’allocation des actifs, des produits et des charges au périmètre d’activités mentionné à l’article L. 6325-1, tels qu’ils ont été retenus par les parties au contrat.
- En vue de l’élaboration d’un projet de contrat, l’autorité compétente de l’Etat peut consulter l’Autorité de régulation des transports, qui émet un avis motivé sur le coût moyen pondéré du capital à prendre en compte dans le projet de contrat.
Le Sénégal peut s’inspirer de ces missions pour la future entité en charge de la régulation économique du transport aérien. Une récente étude de l’AFRAA (Association des compagnies aériennes africaines) publiée en 2021 et portant sur les redevances aéronautiques en Afrique fait ressortir que les aéroports les plus performants en Afrique sont également les moins chers.
L’étude montre également qu’une réduction de 10% des prix des billets (dont les taxes et redevances sont une composante majeure) entrainerait une hausse du nombre de passagers de 22.3 à 30.1 millions. La cherté des aéroports est clairement un frein au développement du trans[1]port aérien en Afrique. Les usagers et prestataires de la plupart des aéroports africains pourraient faire de cet adage de LACORDAIRE, un cri de ralliement : « Entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère »
Blaise MANE Directeur Général de Aéroservices & Africargo