Alors que le Mali, le Burkina Faso et le Niger, réunis sous la bannière de l’Alliance des États du Sahel (AES), aspirent à plus de souveraineté, une question stratégique s’impose : comment ravitailler ces pays enclavés dans un contexte de rupture avec les circuits traditionnels de la CEDEAO ? À cette équation géopolitique complexe s’ajoute une compétition logistique : Dakar, Lomé, Tema ou encore les ports marocains via le Corridor Atlantique, chacun cherche à devenir la porte d’entrée du Sahel.
Depuis leur retrait de la CEDEAO en 2024, l’AES (Alliance des Etats du Sahel) cherche à redéfinir ses circuits commerciaux. Ces trois pays, sans accès à la mer, dépendent des ports voisins pour l’essentiel de leurs importations : carburants, céréales, médicaments ou équipements industriels. En moyenne, 80 % des besoins du Sahel transitent par des infrastructures côtières, avec un coût logistique pouvant atteindre 40 % de la valeur des biens importés.
Historiquement, le Mali a utilisé le port de Dakar, qui assure 70 % de ses importations. Le Burkina Faso et le Niger se tournent davantage vers Lomé et Tema, mais à un coût souvent plus élevé. La rupture avec la CEDEAO a contraint l’AES à explorer de nouveaux corridors logistiques, redessinant ainsi la géographie commerciale de l’Afrique de l’Ouest.
Le port de Dakar reste le partenaire historique du Mali. À seulement 1.200 km de Bamako, il a acheminé 700.000 tonnes de marchandises vers le pays en 2024. Le Sénégal a renforcé cette coopération en inaugurant une gare de fret dédiée au Burkina Faso et en lançant un vaste programme de modernisation, avec le soutien de l’opérateur DP World.
Derrière cette proximité géographique se cache aussi une diplomatie active. Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a multiplié les visites dans les capitales de l’AES pour affirmer une volonté de partenariat. Cependant, la dépendance au port de Dakar présente aussi des risques : infrastructures saturées, vulnérabilité politique et coûts encore sensibles aux aléas régionaux.
Moins médiatisé, le port de Lomé au Togo se démarque par son efficacité. En 2024, il a traité 450.000 tonnes de marchandises destinées au Burkina Faso et au Niger, avec des délais de traitement parmi les plus courts de la région (24 heures en moyenne). Grâce à une diplomatie équilibrée et des infrastructures modernes, Lomé séduit de plus en plus les transitaires sahéliens.
Cependant, la sécurité des routes reliant Lomé aux capitales sahéliennes reste un défi. Le nord du Burkina Faso, en particulier, a vu une augmentation des attaques armées, impactant la fiabilité du corridor.
Le port de Tema au Ghana mise sur ses infrastructures récentes, notamment le terminal MPS III, pour capter une part croissante du marché sahélien. Avec des délais réduits à 20 heures et une gouvernance logistique efficace, Tema se positionne comme un hub d’avenir. Mais le manque d’expérience dans le transit vers le Sahel et la nécessité d’investissements lourds dans les infrastructures limitent encore son impact.
À plus de 3.000 km des capitales de l’AES, le Maroc avance une vision audacieuse. Le Corridor Atlantique, lancé en 2023, vise à relier les ports marocains à travers la Mauritanie jusqu’au cœur du Sahel. Le projet, soutenu par des bailleurs internationaux, combine routes, ports et zones franches pour attirer les flux sahéliens.
Mais la distance, l’insécurité régionale et la question du Sahara occidental freinent pour l’instant cette ambition. Les coûts logistiques y sont les plus élevés (environ 300 dollars par tonne pour Niamey), même si le Maroc table sur une baisse progressive grâce aux économies d’échelle.
Face à ces options, l’AES semble devoir privilégier une stratégie de diversification. S’appuyer sur plusieurs corridors – Dakar pour le Mali, Lomé pour le Burkina, Tema pour le Niger – pourrait limiter les risques. À long terme, le développement de ports secs dans les capitales sahéliennes, reliés par rail et route, permettrait une meilleure centralisation des flux.
En parallèle, l’investissement dans des technologies de suivi numérique, inspirées du modèle Est-Africain, pourrait réduire pertes et délais, tout en sécurisant les convois. Derrière la logistique se joue aussi l’indépendance politique. Le choix d’un port, ou d’une combinaison de ports, façonnera la relation de l’AES avec ses voisins, ses partenaires et les puissances étrangères. La souveraineté économique du Sahel dépendra de sa capacité à construire des corridors sécurisés, efficaces et équilibrés.
Dans cette course au port, l’Afrique de l’Ouest redessine sa carte stratégique. Le Sahel, longtemps considéré comme périphérique, pourrait bien devenir le centre d’un nouvel échiquier régional.
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