Côte d’Ivoire : Cémoi lance la traçabilité complète de sa filière cacao
Par Ibrahima DIALLO
27 juillet 2024 / 11:40

Le chocolatier basé à Perpignan entend identifier numériquement l’ensemble des maillons de sa chaîne d’approvisionnement alors que les exigences du règlement européen contre la déforestation entrent en application en fin d’année… Non sans contestation internationale.

Un travail de bénédictin… En Côte d’Ivoire, le chocolatier Cémoi est en train de franchir une nouvelle étape dans la traçabilité numérique de sa chaîne d’approvisionnement en cacao, en s’attaquant au maillon le plus complexe, la production agricole.

Pour Cémoi, il s’agit d’authentifier les parcelles de 70 000 planteurs de Côte d’Ivoire, cultivant environ 210 000 ha de plantations, une mission réalisée par les équipes locales de Cémoi. Celles-ci ont entamé ce travail de terrain en utilisant un outil mobile digital développé par FarmForce.

Cette nouvelle initiative prolonge des actions passées de Cémoi, un industriel qui réalise environ 750 millions d’euros de chiffre d’affaires et commercialise plus de 200 000 tonnes de produits de chocolats et de confiserie chaque année

L’entreprise qui dispose de longue date d’une usine de transformation à Abidjan, a engagé dès 2018 la cartographie générale des parcelles de cacaoyers. Depuis 2022, l’industriel a aussi mis en place la traçabilité de ses masses de cacao à partir des coopératives de planteurs.

La complexité de mise en œuvre du nouveau dispositif tient à l’organisation des chaînes d’approvisionnement agricole qui repose, pour partie, sur des intermédiaires, ce qui peut entraîner des pertes partielles ou totales de traçabilité des fèves.

Selon Cémoi : d’ici 2025, un simple clic permettra de connaître exactement où ont poussé les fèves de cacao composant les masses de cacao, justifiant ainsi que le chocolat ne provient pas de terres déboisées classées et n’a pas causé la dégradation des forêts. Un total de 75 coopératives est déjà chargé sur FarmForce, et 27 coopératives sur place sont déjà formées à l’utilisation de l’outil et l’ont déjà mis en application auprès des cacaoculteurs.

A noter que Cémoi entend mettre à profit cette nouvelle étape pour un autre usage. L’entreprise (rachetée en juillet 2021 par le groupe belge Sweet Products) va en profiter pour collecter des informations et mesurer directement sur le terrain l’impact de ses actions de RSE et de développement, mises en œuvre dans le cadre de son programme Transparence Cacao.

Cela comprend, par exemple, la superficie de terres couvertes en agroforesterie, le nombre d’enfants accompagnés vers l’éducation ou encore le nombre de femmes ayant bénéficié d’une démarche d’autonomisation dans le cadre de ce programme Transparence Cacao.

Partenaire technologique de cette opération, Farmforce est un éditeur norvégien de logiciels SaaS spécialisé sur le premier kilomètre des chaînes d’approvisionnement. Basé à Oslo, il développe des applications digitales de traçabilité spécialisées dans le domaine des matières premières agricoles. Farmforce dispose de plusieurs bureaux dans le monde, dont Abidjan en Côte d’Ivoire et Nairobi au Kenya.

L’initiative de Cémoi en Côte d’Ivoire n’est pas unique. Elle s’inscrit dans le cadre des obligations nées d’un nouveau règlement européen voulant lutter contre la déforestation, connu sous l’acronyme EUDR (European Union Deforestation Regulation) entré en vigueur en juin 2023.

Dans cette veine, Valrhona a également engagé une démarche complète de traçabilité sur 15 origines de fèves. Pour cela, la filiale du groupe Savencia (ex-Bongrain) s’est appuyée sur les conseils de PWC et les outils de Tilkal. Cette entreprise numérique, basée à Paris, fondée et dirigée par Joseph Azar, a développé une plateforme de traçabilité et de vérification de conformité utilisable dans différents secteurs, dont l’agriculture.

Le règlement européen EUDR prévoit notamment que les importateurs et transformateurs de sept produits (cacao, café, soja, huile de palme, bœuf, bois, caoutchouc) soient en mesure de montrer que leurs matières premières n’ont pas contribué à la déforestation après 2020. Pour cela, les entreprises doivent mettre en œuvre en particulier des mesures de « diligence raisonnée » sur les conditions de production de leur approvisionnement.

Ces mesures de « diligence raisonnée » comprennent le recueil de diverses informations : la description du produit, la quantité achetée, les zones de production, la période de production, l’identification des fournisseurs ainsi que la géolocalisation des parcelles agricoles. Les obligations nées de ce nouveau règlement seront effectives le 31 décembre 2024 avec une tolérance de six mois supplémentaires pour les TPE.

A noter que plusieurs grands pays exportateurs (et même des Etats membres des 27) sont opposés à l’application en l’état de la législation européenne EUDR, en particulier dans le domaine du bois et de l’huile de palme, dont les Etats-Unis, l’Indonésie, la Malaisie ou le Brésil.

Le gouvernement chinois, de son côté, a réaffirmé début juillet que la Chine n’appliquerait pas l’EUDR fin 2024. La transmission à Bruxelles de données géolocalisées contrevient, en effet, à ses règles de sécurité nationale. La fronde contre ce règlement, perçu comme un « impérialisme vert » par certains pays du Sud, inquiète particulièrement les professionnels du secteur bois.

La Chine représente environ 30% du commerce mondial du bois et de ses dérivés, y compris le carton ou la pâte à papier, et une guerre commerciale risque de mettre à mal les flux internationaux. Dans le domaine du cacao, la fronde est moins forte. Certains pays comme le Cameroun se plaignent surtout de la trop grande brièveté de la période de transition et du manque de moyens.

Pierre Olivier ROUAUD

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